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La Charte-Poubelle

Il y a des Radios-Poubelles depuis longtemps au Québec, et pas seulement à Québec. On les appelle ainsi parce que leur créneau d’affaires, c’est l’exploitation des préjugés pour faire de l’argent. Le gouvernement de Pauline Marois a décidé de recourir à la même stratégie dans l’espoir de se faire réélire avec un mandat majoritaire. En s’appuyant sur les pires préjugés d’une partie de la population québécoise et en divisant la société en deux camps bien nets, il a calculé qu’il serait possible de récolter ensuite assez de votes dans l’un des camps pour former un gouvernement majoritaire dans un contexte multipartite. C’est le genre de calcul déjà fait par Mario Dumont, Jean Charest et Stephen Harper.

Le porte-parole du gouvernement, Bernard Drainville, ne cesse de répéter que son gouvernement est à l’écoute des Québécois (les vrais) et que son projet de Charte reflète leur volonté. Il se garde bien de préciser que cette volonté subite de laïcisation baigne dans la sauce des pires préjugés xénophobes. On ne veut plus voir la face des femmes voilées, alors on veut recourir au pouvoir coercitif de la loi pour les faire disparaître. Et comme certaines des valeurs québécoises (pas toutes inscrites dans le projet de charte) excluent le racisme et la méchanceté, on prétend que c’est pour leur plus grand bien, pour les libérer de la tyrannie de leurs pères, leurs maris ou leurs beaux-frères, mais on se garde bien de leur demander leur avis, comme si ces femmes n’étaient pas de vraies personnes mais de simples objets dans leurs mains.

Il y a un autre aspect de notre nouveau psychodrame qui rappelle l’univers des Radios-Poubelles. C’est la confusion entretenue entre les personnes réelles et ces « personnes morales » que sont les institutions. Une station de radio est une entreprise, pas une vraie personne, mais quand le CRTC a voulu restreindre la liberté d’expression de la station CHOI-FM, en 2004, cette dernière a tenté de se défendre en invoquant les droits de « la personne ». Il faut dire que cette confusion est inscrite dans la Charte canadienne des droits et libertés de la personne (article 2).

De la même façon, le gouvernement Marois prétend que la laïcité de l’État ou celle de ses différentes institutions (écoles, hôpitaux, etc.) doit se refléter dans la tenue vestimentaire de chacun de ses employés, comme si chacune de ces personnes devait se confondre jusqu’au plus profond de son identité avec l’institution qui l’emploie.

Cette confusion entre les droits individuels et ceux des « personnes morales » est aussi celle qui empoisonne toute l’analyse des responsabilités dans les affaires de corruption des firmes d’ingénieurs, des entreprises de construction ou des partis politiques. Faudra-t-il punir les compagnies au complet en les fermant, puisqu’on ne peut pas les mettre en prison, ou seulement leurs dirigeants, ou bien chacun de leurs employés, selon la logique appliquée par le gouvernement Marois? Peut-être serait-il temps que nos juristes se penchent sur cette question pour clarifier nos codes civils et criminels. Mais avant, il serait bon que nos politiciens cessent d’exploiter cette confusion pour dire n’importe quoi et surtout pour l’inscrire dans des lois aussi fondamentales que des Chartes, qui devraient normalement rallier la quasi-unanimité des citoyens.