Aller au contenu
Accueil » Blogue d’anthropologie naïve » Pandémie: l’envers d’une guerre

Pandémie: l’envers d’une guerre

US_Army_Detroit_Tank_Plant (3)On a beaucoup comparé la lutte actuelle contre la Covid-19 à une guerre. C’est aussi le sentiment que beaucoup de citoyens ressentent en suivant l’information qui monopolise les médias. Une guerre entre « un ennemi » invisible et sournois et des sociétés mobilisant toutes « les stratégies » et tout « l’arsenal » dont ils peuvent disposer. Le vocabulaire militaire ne s’arrête pas là.

Observée de l’extérieur, la ressemblance est frappante. Il ne manque que les sirènes déployées dans les rues pour avertir les citoyens d’une frappe imminente.

Si on l’examine de l’intérieur, la crise actuelle se présente plutôt comme l’envers d’une guerre. Dans une guerre, les belligérants mobilisent au maximum leur système économique et leurs capacités technologiques pour détruire leurs adversaires, s’emparer de leurs ressources et satisfaire la soif de gloire de quelques potentats. Le nombre de vies fauchées à cette fin n’a aucune importance. Un simple survol des bilans des deux guerres mondiales devrait suffire à nous en convaincre, tout comme celui de la guerre du Golfe, de l’attaque de l’Iran, etc.

Or, dans l’actuelle lutte de résistance à la pandémie, c’est exactement le contraire qu’on peut observer, du moins si l’on se place du point de vue des valeurs qui sont impliquées. Les vies humaines représentent l’ultime valeur que nous avons choisi de préserver, et cela à n’importe quels coûts économiques. Quand on y réfléchit un peu, c’est un renversement totalement ahurissant et totalement extraordinaire.

Rien de semblable n’a pu être observé lors des épidémies ponctuelles ou saisonnières, dont les bilans sont pourtant impressionnants en termes de pertes de vies humaines.

Une fois tracé un tel constat, ce qui importe, c’est de réfléchir à la possibilité que cette situation nous offre de modifier en profondeur notre système de valeurs et de l’inscrire à plus long terme dans nos institutions, nos lois, nos programmes politiques, aussi bien que dans nos arts, nos rituels sociaux ou nos comportements quotidiens.

Il serait sans doute naïf de croire que le monde a changé à ce point en un temps aussi court. Le retour à la normale pourrait bien se faire presqu’aussi vite que s’est fait le choix du confinement et du solide frein imposé à l’activité économique. Par contre, il se pourrait aussi que ce retour à la normale soit en même temps un peu superficiel et qu’il masque des traces plus profondes d’une prise de conscience durable.

Peut-être un certain nombre de couples auront-ils eu l’occasion de mieux mesurer ce qu’ils doivent sacrifier pour avoir le standing du double revenu. Peut-être un certain nombre de commerçants verront-ils l’abandon des affaires comme autre chose qu’une faillite. Peut-être certains politiciens sentiront-ils qu’ils pourraient se trouver bien plus motivés par un changement radical dans l’ordre des priorités qui gérait leur agenda. Il se pourrait même que l’un ou l’autre parmi les magnats de l’économie connaisse une sorte d’épiphanie et adopte de nouvelles cibles totalement inédites dans son univers social.

Quoi qu’il en soit, rien ne nous interdit d’amorcer la réflexion et les débats en tirant profit de l’énergie nouvelle qui ne manquera pas de se manifester après un freinage aussi brusque.

Si nous choisissons d’opérer un virement de cap, il serait quand même utile de se rappeler que la question essentielle à laquelle nous avons eu à répondre au début de la pandémie était celle de savoir si nous devions, ou non, maintenir le cap sur la sacro-sainte croissance économique et aligner tous nos autres choix politiques sur ce dogme. Or nous avons répondu « non », en dépit du fait que ce dogme était jusqu’ici aussi indiscutable que l’a été pendant des siècles l’incarnation de Dieu en la personne du Christ.

Le dogme de la croissance économique et ses promesses non tenues du progrès et du bonheur pour tous sont les fondements d’une véritable religion et cette religion, comme bien d’autres, a toujours reposé sur le sacrifice. Pour la religion de la croissance économique, le sacrifice exigé est celui d’immenses ressources naturelles non renouvelables et celui d’innombrables vies humaines.

Changer le cap d’une civilisation aussi colossale n’est pas une chose facile. Pour s’y attaquer, peut-être pourrions-nous simplement commencer par retrouver le sens premier du mot « économie », soit la préservation maximale des ressources, en évitant leur gaspillage afin qu’elles puissent durer le plus longtemps possible.

Ce ne serait pas là une aventure dans l’inconnu, mais simplement un retour dans un chemin bien connu, celui que les humains ont toujours suivi avant que se produisent les dérives de la révolution industrielle mondialisée.