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Homosexualité et pédophilie: nos lois ont évolué dans des directions opposées.

JusticeAutrefois, les pédophiles pouvaient donner libre cours à leurs pulsions sans courir beaucoup de risques d’être sanctionnés, tandis que les homosexuels devaient cacher leur orientation, sous peine d’être traités comme des criminels aux yeux de la Loi, des malades aux yeux de la Science et des pécheurs aux yeux de l’Église.

Depuis, l’homosexualité a été décriminalisée et en quelque sorte normalisée. Pendant ce temps, le degré de criminalisation de la pédophilie a été considérablement haussé et l’opinion publique a fait du pédophile l’ennemi public numéro un. Des changements radicaux et orientés dans des directions opposées ont donc marqué notre culture concernant ces deux phénomènes, qui concernent tous deux les normes sociales touchant la sexualité.

En ce domaine, si les mentalités peuvent changer rapidement, elles varient aussi beaucoup d’une culture à l’autre. Par exemple, le parlement de l’Ouganda débat actuellement d’un projet de loi pour punir l’homosexualité de la peine de mort, au même moment où la France vient de reconnaître le droit des homosexuels au mariage et à l’adoption.

Chez nous, la décriminalisation de l’homosexualité s’inscrivait dans le développement des droits de la personne, dont l’Occident s’est fait le champion. Ce sont donc surtout les pays de culture occidentale qui ont poussé cette trajectoire le plus loin. En même temps, la baisse de la natalité a pu nous inciter à mieux protéger les enfants contre les abus de toutes sortes, tout en cherchant à compenser notre négligence passée.

L’homosexualité normalisée.

Au Canada, jusqu’à la fin des années 60, l’homosexualité était criminalisée par le biais des articles portant sur la sodomie et sur la grossière indécence, passibles de peines de prison de 5 à 14 ans. En 1969, le bill Omnibus présenté par le Premier Ministre Trudeau est venu décriminaliser l’homosexualité et ouvrir une nouvelle ère pour les personnes homosexuelles.

Depuis, nos lois ont à peu près éliminé la discrimination à cet égard, même si l’homophobie n’est pas disparue pour autant. En 1977, le Québec devient la première juridiction en Amérique du Nord à interdire la discrimination basée sur l’orientation sexuelle, en incluant ce motif dans la Charte des droits et libertés de la personne. Quant à la Charte canadienne, elle sera amendée dans le même sens en 1986.

Le Canada sera aussi l’un des premiers pays à légaliser le mariage homosexuel en 2005. Les droits à l’adoption homoparentale sont acquis au Québec depuis 2002, ainsi que dans 7 autres provinces ou territoires.

Dans notre quotidien, on constate la présence de plus en plus évidente de la réalité homosexuelle. Beaucoup d’auteurs de téléromans la mettent en scène et contribuent à modifier la perception populaire de cette réalité. À Montréal, les célébrations de la fierté gaie (Fierté Montréal) attirent maintenant des centaines de milliers de participants ou de spectateurs, y compris de nombreux politiciens. L’Ontario vient pour la première fois de voir accéder au poste de Premier Ministre une personne s’affichant ouvertement comme homosexuelle. Bref, nous sommes rendus très loin de la criminalisation.

La mobilisation contre la pédophilie.

Les choses ont changé tout autrement concernant la pédophilie. Autrefois, les abus sexuels sur des mineurs étaient en théorie condamnés par nos lois mais en pratique, le consensus social opérait pour les ignorer et les dissimuler alors que, de nos jours, ils sont beaucoup plus dénoncés, publicisés et condamnés.

Les lois en cette matière ont progressivement été multipliées, étendues et durcies, y compris en instaurant des peines minimales d’emprisonnement. Le gouvernement Harper a même annoncé son intention de les durcir encore plus. Quant aux types de crimes sanctionnés, en plus des abus sexuels sur les enfants, on a vu apparaître des lois sur le leurre d’enfant, la pornographie juvénile, l’âge minimal du consentement aux relations sexuelles, la prostitution juvénile, le tourisme sexuel, la traite des enfants, etc.

Comme on peut s’y attendre, le nombre de poursuites et de condamnations est allé en s’accroissant aussi. Dans l’opinion publique, la lutte à la pédophilie s’est notamment manifestée dans la multiplication des dénonciations, y compris pour des abus subis il y a plusieurs décennies, et dans l’importance de leur couverture médiatique. On a aussi vu une émission aussi populaire que JE présenter en direct des épisodes au cours desquels des pédophiles piégés par l’animateur étaient ensuite traqués et confrontés par lui devant la caméra et devant le public. Ce genre de téléréalité avait aussi diverti les téléspectateurs des États-Unis de 2004 à 2008 (l’émission To Catch a Predator, sur NBC) et avait pris fin après que l’un des « prédateurs » se soit suicidé juste avant d’être arrêté par la police.

Dans la même veine, le Journal de Montréal a publié et mis en ligne, depuis le 1er février dernier, une carte des régions de Montréal et de Québec montrant les lieux de résidence de personnes condamnées pour des agressions sexuelles de tous ordres. Même sans identification des auteurs, cela fournit un portrait géographique des agressions, tout en alimentant du même coup les hantises du public concernant le crime sexuel.

Des évolutions ou des dérives?

Quant à la normalisation de l’homosexualité, l’idée même d’une possible dérive semble difficilement concevable. Une société peut-elle aller trop loin dans la tolérance? Par contre, sur la lutte à la pédophile, la question est beaucoup plus complexe et délicate, au point où le simple fait de la soulever peut sembler téméraire, tant le consensus qui l’entoure est d’une opacité qui interdit toute forme de discussion ou de réflexion.

À mon point de vue, notre lutte aux abuseurs pédophiles est tout à fait justifiée mais il est un aspect de notre législation sur la possession de pornographie juvénile que je qualifierais plutôt de dérive.

La loi canadienne sanctionne la possession ou l’accès à des documents de pornographie juvénile en assumant que le consommateur serait co-responsable des abus réels commis par les producteurs. Selon cet argument, il faudrait aussi sanctionner les consommateurs d’images de violence et d’autres actes criminels. Quoi qu’il en soit, en examinant notre législation sur la pornographie juvénile, on peut constater que l’argument de la co-responsabilité n’en constitue pas vraiment le fondement.

En effet, selon l’article 161.3 du Code criminel canadien , la pornographie juvénile comprend « toute représentation photographique, filmée, vidéo ou autre, réalisée ou non par des moyens mécaniques ou électroniques », ce qui inclut donc de simples dessins. Elle inclut également, entre autres éléments, « tout écrit dont la caractéristique dominante est la description, dans un but sexuel, d’une activité sexuelle avec une personne âgée de moins de dix-huit ans qui constituerait une infraction à la présente loi ».

Ainsi, notre législation sanctionne non seulement la possession d’images présentant des faits réels mais aussi de textes, de bandes sonores, de dessins ou d’autres œuvres d’imagination qu’une personne pourrait avoir produits pour elle-même et qui suggèrent son orientation sexuelle pédophile, en la rendant passible d’une peine minimale de 3 à 6 mois et pouvant aller jusqu’à 5 ans. La loi canadienne est d’ailleurs l’une des seules législations au monde à inclure des documents fictifs ou virtuels dans sa définition de la pornographie juvénile. On conviendra que la production ou la possession de dessins ou de textes n’implique l’existence d’aucune victime d’abus réels et que nous sommes ici dans l’univers des fantasmes sexuels.

Tout se passe comme si nous avions décidé d’éradiquer le mal en s’attaquant à sa racine, soit l’existence même des fantasmes de pédophilie chez certaines personnes, indépendamment de leur comportement réel en société.

Personnellement, j’ai eu la chance de profiter d’une excellente éducation dispensée par des membres de communautés religieuses, avec un engagement exemplaire et sans même recevoir de salaire. Il est probable que certains d’entre eux aient été sexuellement attirés par les jeunes garçons sans jamais faire de victime réelle parmi eux. Si c’était bien le cas, devraient-ils faire l’objet de notre reconnaissance pour avoir su contrôler leurs pulsions sexuelles ou bien être emprisonnés si, par malheur, des traces matérielles de leurs fantasmes étaient découvertes dans leurs documents personnels?

À d’autres époques, on pouvait emprisonner, torturer ou exécuter des personnes pour ce qu’elles sont et non pour ce qu’elles font, pour leurs idées, leurs opinions, leurs croyances, ou même pour leur « race » ou leur orientation sexuelle, mais dans toutes nos Chartes et nos grandes Déclarations, nous prétendons avoir reconnu et garanti certains droits fondamentaux de la personne.

Dans ce cas-ci, le fait que les lois canadiennes ignorent ces droits sans être contestées ne peut s’expliquer que par la présence d’un très fort consensus social qui vient censurer toute discussion publique ou privée sur la question et qui semble même atrophier nos capacités de réflexion sur ce sujet tabou.